samedi 28 juillet 2018

Pourquoi ce velours vert dans l'hémicycle ?


Les travaux qui donnèrent au Palais Bourbon sa forme actuelle commencèrent sous le règne de Charles X, dernier roi de France, en 1827 pour se terminer en 1832, sous le règne de Louis Philippe 1er, roi des Français, dernier roi en France. Si le changement de régime qu’entraînèrent les « Trois glorieuses » en juillet 1830 n’eut guère d’influence sur la conduite et la poursuite des travaux, il n’en fut pas de même pour le système de décor des nouvelles constructions. La salle des séances devait, dès l’origine, être décorée de trois grands tableaux, de trois bas-reliefs, de deux grandes et quatre petites statues sur le mur dossier, de figures allégoriques peintes sur la voussure et la voûte du plafond et sur l’arc doubleau. Ce programme, élaboré sous Charles X, reposait sur un des principes de la monarchie de droit divin. Un dessin, signé de Jules de Joly en 1828, nous indique que le projet s’articulait autour de trois tableaux : celui placé derrière le président rappelait le roi donnant la charte, celui à sa droite représentait le sacre de Charles X et celui à sa gauche illustrait le triomphe du duc d’Angoulême. Ce triptyque traduisait, en outre, la pérennité de l’institution monarchique.

Les « Trois glorieuses » avaient appelé un homme - Louis Philippe 1er - dont le pouvoir devait trouver sa légitimité dans sa parenté avec l’ancienne branche régnante, dans sa participation aux victoires révolutionnaires et dans son acceptation du drapeau tricolore. Le fondement du régime avait changé ; l’inspiration du système de décor devait être modifiée. Même si, à cette époque, la construction n’était pas terminée, il était inconcevable de remodeler l’appareil architectural.

Le sujet en fut défini par le ministre de l'intérieur, Guizot, il convenait de rattacher le nouveau régime à l’histoire de France. Le lendemain de l’investiture du roi, Le Journal des débats proclamait : « 1830 vient de couronner 1789 ». De droit divin, la monarchie devenait constitutionnelle. Louis-Philippe était roi des Français « par la grâce de Dieu et la volonté nationale ». Devant les députés et les pairs réunis, il avait prêté serment « de ne gouverner que par les lois et selon les lois ». Guizot pensait à « notre histoire législative pendant la Révolution française. C’est là que les députés doivent chercher des exemples et la France, qui se presse pour les écouter, des motifs d’attachement aux institutions constitutionnelles. »

Le 25 octobre 1830, Guizot, organise un concours pour l'exécution de trois tableaux destinés à décorer la Salle des séances de la Chambre des Députés. Au centre devait figurer Louis-Philippe prêtant serment à la Charte constitutionnelle le 9 août 1830, et, de chaque côté, La séance de l'Assemblée constituante le 23 juin 1789 au moment où Mirabeau répond au Maître des cérémonies qui prie l'Assemblée de se séparer : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par l'ordre du peuple et nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes », et Boissy d’Anglas, président de la Convention nationale, saluant la tête du député Féraud que les révoltés du 1er prairial an III [mai 1795] lui présentent en le menaçant. Ces trois tableaux, qui devaient être placés derrière le bureau du président, c'est-à-dire face aux députés, devaient être une leçon pour les représentants du peuple. Faire figurer Louis-Philippe, accomplissant l'acte fondateur du régime de Juillet, entre Mirabeau et Boissy d'Anglas était faire du roi des Français l'héritier de la Révolution. D'autre part, ces deux événements de la Révolution française symbolisaient les pouvoirs et les devoirs des députés. Ils devaient montrer, selon Guizot, la résistance au despotisme [Mirabeau] et la résistance à la sédition [Boissy d'Anglas] qui déterminent les limites et les devoirs d'un député.

Pour le premier tableau, le peintre Coutan l’emporta. Pour le deuxième, l’esquisse présentée par Hesse fut retenue. Enfin, Vinchon fut choisi pour le troisième tableau. La référence à la période révolutionnaire parut sans doute à certains un peu trop oppressante, car, dès 1831, commande fut directement passée à Delaroche d’un tableau représentant le président Molé devant les barricades au moment de la Fronde et à Scheffer d’un autre illustrant l’affranchissement des communes par Louis VI, destinés à être placés sur les côtés en retour.

Eugène Devéria - Le roi prête serment de maintenir la Charte de 1830, le 9 août 1830
Un seul de ces cinq tableaux, Le serment du roi, sera placé… en 1837, terminé par un autre peintre que Coutan, décédé quelques mois plus tôt. Les questeurs avaient pourtant sollicité de façon itérative tous les ministres de l’Intérieur pour presser les artistes. Delaroche, débordé de travail à la Madeleine, avait depuis longtemps renoncé à la commande. Scheffer avait à peine esquissé sa toile. Hesse, malade, n’avait pas encore terminé. Seul, Vinchon avait livré son travail, mais on se demandait si une tête au bout d’une pique avait bien sa place dans l’hémicycle. On avait donc pris la décision de n’accrocher que Le serment du roi et de remplacer les quatre autres tableaux par des tentures en velours de soie verte ornées de broderie d’or. D’ailleurs, dès le mois d’août 1832, en prévision de l’inauguration de la salle, de semblables tapisseries avaient été louées pour 900 francs par an. Elles sont encore en place aujourd’hui !

samedi 7 juillet 2018

Le Laocoon

Laocoon et ses fils. Fondu par Keller (1687)
Selon Robert Graves, Laocoon était un prêtre chargé du culte d'Apollon Thymbréen à Troie. Il irrita le dieu en se mariant, en cachant son épouse dans l'enceinte du temple à l'insu de ses concitoyens, en ayant des enfants (deux garçons) malgré le vœu de célibat qu'il avait fait et, chose plus grave encore, en s'unissant à sa femme devant la statue du dieu.

Pendant la Guerre de Troie, les Grecs, lassés de ce siège interminable, et sur les conseils d'Ulysse, imaginèrent une ruse. Ils construisent un énorme cheval en bois, dans lequel ils cachent des guerriers, au nombre desquels se trouvent notamment Ulysse, Ménélas et Néoptolème. Puis les Achéens brûlent leur camp, embarquent sur leurs navires et dissimulent leur flotte plus loin, derrière l'île de Ténédos.

En présence du cheval, les Troyens sont d'abord désemparés, les avis divergeant sur le sort qu'on doit lui réserver. Avertis qu'il s'agit d'un présent pour la déesse Athéna, les uns veulent le faire entrer dans la ville, les autres, menés d'abord par Thymétès, prônent la méfiance. Survient alors Laocoon qui exhorte ses compatriotes à se débarrasser du cheval, prononçant la formule célèbre :

« Timeo Danaos et dona ferentes. » (« Je crains les Grecs, même lorsqu'ils font des cadeaux »).

— Virgile, Énéide

Dans une version, Laocoon aurait frappé de sa lance le cheval de bois offert par les Grecs à Athéna. C'est du moins ce que les spectateurs virent, ne connaissant pas la vie secrète de leur prêtre.

Apollon, qui n'avait pas oublié l'injure, envoya deux monstrueux serpents qui sortirent de la mer, s'enroulèrent autour de Laocoon et de ses deux fils et les étouffèrent.

Les Troyens, ignorant la véritable raison de la colère d'Apollon, crurent que les dieux voulaient leur faire comprendre de laisser entrer le cheval : ils firent une brèche dans les murailles de la ville afin de permettre le passage du funeste présent.

La copie du Laocoon qui se trouve Salle des Pas Perdus, ainsi que le groupe en bronze Le galate vaincu, proviennent du dépôt de Marly d'où ils avaient été apportés au Palais Bourbon vers la fin de l'an III et déposés provisoirement dans la cour du côté de la Seine. Le Laocoon se prête, comme le remarquait un chroniqueur facétieux sous la Monarchie de Juillet, à toutes les interprétations : « pour les uns, les serpents qui enlacent le malheureux père et ses enfants, figurent l'opposition tourmentant le pouvoir et le poursuivant de son venin ; pour les autres c'est la Constitution se débattant sous les contraintes du pouvoir... ». 


Laocoon et ses fils. Entre 160 et 20 avant notre ère. Musée Pio-Clementino du Vatican
Venons-en à l'original du Laocoon, ce groupe de marbre blanc de 1m de base et de 2 m de haut, d'un seul bloc, fut découvert en 1506 à Rome sur la colline de l'Esquilin dans la Domus Aurea de Neron. L'oeuvre fut tout de suite identifiée comme étant celle dont parlait avec admiration Pline l'Ancien dans son « Histoire Naturelle » et qui se trouvait dans le palais de l'Empereur Titus. De facture hellénistique, il serait l'oeuvre, au Ier siècle av.J.C de 3 sculpteurs rhodiens.

Sur les conseils de Michel Ange, il fut acheté par le Pape Jules II qui le plaça dans la cour de l'octogone du Vatican, où il se trouve toujours. Mais le bras levé de Laocoon manquait et il lui fut ajouté un bras étendu, d'abord en terre cuite, puis en marbre, et ceci jusqu'à la découverte, en 1905, du bras originel non étendu mais plié derrière la tête. Ce n'est qu'en 1960 qu'on monta ce vestige sur l'original.