mardi 8 janvier 2019

Duel entre parlementaires

Duel entre les deux parlementaires dans le jardin d'une résidence privée de Neuilly-sur-Seine

Le duel : un cérémonial très codifié

Un honneur bafoué, un mot maladroit, une calomnie : jadis tout était bon pour se battre en duel. Un phénomène particulièrement français mais que l'on rencontre ailleurs, en Europe, et outre-atlantique. La coutume du duel remonte au Moyen-Âge: on pratique les duels judiciaires que l'on nomme aussi «gage de bataille». L'affrontement est arbitré par Dieu : on parle alors de droit divin.

Au tournant du XVIe siècle apparaît le duel du point d'honneur. C'est l'apanage des nobles. La pratique du duel se généralise. Devant le nombre considérable de victimes, tous les rois de France essaient de l'interdire, sans succès.

Duel à mort, duel au premier sang

La révolution va changer les choses : tous les édits royaux punissant les duellistes sont supprimés. Le duel se codifie: L'essai sur le duel (1836) du comte de Chatauvillard devient la référence. On y apprend toutes les règles détaillées: comment choisir l'arme, le lieu, la date, le nombre de témoins. Il y a deux possibilités, soit le duel à mort, soit le duel au premier sang. Un procès verbal est établi pour attester la régularité. C'est l'âge d'or des duels. Hommes politiques, militaires, journalistes, dramaturges vont se battre pour n'importe quel prétexte. Chaque débat houleux à l'Assemblée se termine en duel : Clemenceau en est l'exemple parfait. Grand duelliste, il se bat une douzaine de fois et est maintes fois témoin. La guerre de 1914 met fin à l'épopée du duel, temporairement comme nous allons le voir.

Un lieu marqué par des duels

Si le Palais Bourbon est aujourd'hui un lieu où se déroulent des joutes oratoires, son histoire fut également marquée par des duels mettant plus gravement en péril l'intégrité physique de ses protagonistes. En effet, l'Hôtel de Lassay et le Palais Bourbon ont été édifiés au début du 18ème siècle à l'emplacement d'un lieu mal famé, le Pré aux Clercs, l’endroit où les étudiants allaient vider leurs querelles d’honneur en se battant en duel. C'est peut-être par atavisme que, près de 250 ans plus tard, deux parlementaires vont remettre au goût du jour cette coutume d'un autre temps.

« Taisez-vous, abruti ! »

Il n’y a pas toujours eu la télé et les réseaux sociaux. Cinquante ans avant les clashs sur le petit écran ou la toile, les hommes politiques n’étaient pas avares de petites phrases assassines et d’injures qui claquent. La preuve, ce vendredi 21 avril 1967. 

Après trois jours de débat sur la politique du gouvernement, les esprits s’échauffent. Ce jeudi-là, le Premier ministre Georges Pompidou répond du haut de la tribune de l’Assemblée nationale dans une ambiance tumultueuse. François Mitterrand l’interrompt, provoquant un chahut dans l’hémicycle au sein de la majorité. Parmi les plus virulents, le gaulliste René Ribière, député d’Enghien-Montmorency (Val-d’Oise). «Taisez-vous, abruti !» explose Gaston Defferre, le maire de Marseille, président du groupe socialiste. 

Un peu plus tard, la séance est enfin close mais pas l’incident. Ribière rejoint dans la salle des Quatre-Colonnes Defferre, qui maintient son propos. «Je vous en demanderai réparation», défie l’offensé qui envoie dans la foulée ses deux témoins annoncer le choix des armes à l’offenseur. Ce sera l’épée. «Je veux faire ça très vite, demain matin, car je dois être l’après-midi à Marseille», réplique Defferre, qui qualifie l’affaire de « grotesque et ridicule ». Et promet de le toucher aux testicules pour le rendre «inapte» à son mariage... prévu le lendemain.

Cette « mascarade », comme l’écrivit un journaliste, ne fut pas du goût du général de Gaulle, qui, agacé, s’en mêle. Jacques Chaban-Delmas, le président de l’Assemblée, reçoit tour à tour les témoins des deux parties pour tenter de les dissuader. En vain. Rendez-vous est donc pris en toute illégalité pour le lendemain, à l’aube, dans un lieu tenu secret. Depuis Richelieu en effet, les duels sont formellement interdits. A défaut d’habits de protection, les duellistes seront-ils au moins couverts par l’immunité parlementaire ? «Les auteurs sont rarement poursuivis lorsque le duel n’est pas suivi de mort», commente le jour même un avocat à la radio.

Quelques gouttes de sang

Après une course folle pour semer les journalistes et éviter la police, les deux parlementaires et leurs témoins parviennent à rejoindre une résidence privée de Neuilly-sur-Seine. Trois assauts et deux estafilades plus tard, l’arbitre Jean de Lipkowski, un gaulliste de gauche, arrête le combat, Ribière a deux blessures sans gravité. Le député valdoisien n’avait, semble-t-il, jamais touché à une épée et le fait que l’un de ses grands-pères se soit battu en duel en 1910 ne lui fut pas d’un grand secours. Il n’en a pas été de même pour son adversaire des Bouches-du-Rhône, vieux briscard habitué à en découdre, qui s’était déjà mesuré au radical Paul Bastid, vingt ans plus tôt au pistolet.

Si la police l’ignora, du moins officiellement, des journalistes assistèrent à l’événement. Le duel a même été filmé comme en témoigne cette vidéo.


Plus tard, chaque fois que lui fut donnée l’occasion d’évoquer cette rencontre, le facétieux Defferre ne manquait pas de rappeler qu’il avait visé l’entrejambe de son adversaire pour lui gâcher sa nuit de noces, celui-ci se mariant le lendemain.

Les quelques gouttes de sang versées par le député gaulliste ont donc été les dernières à l’être durant un duel en France. Le précédent avait eu lieu neuf ans plus tôt, le 30 mars 1958 près de Vernon (Eure). Il mettait aux prises, pour un différend artistique, le danseur Serge Lifar, 53 ans, et le marquis de Cuevas, 72 ans. Ce dernier avait d'ailleurs pour témoin un certain Jean-Marie Le Pen.

[sources 1, 2, 3, 4]